C’est en marchant dans les rues de la vivante et colorée ville de Oaxaca de Juárez, au sud du Mexique, qu’une femme tenant un petit kiosque de rue m’offre pour la première fois de goûter au Huitlacoche. «Huit-la-quoi?».
Je ne connais pas, clairement. J’apprends que l’on me propose ici une forme de champignon, qui pousse sur les cultures de maïs et que l’on récolte au Mexique depuis très longtemps, pour son goût unique et recherché. On le prononce d’ailleurs «ouite-la-cotché». C’est en fait le corps fruitier d’un champignon, qui se développe à partir des grains de maïs infectés par les spores du champignon Ustilago maydis, que l’on récolte directement au champ, sur les épis de maïs. Ce que l’on consomme, se sont donc de petites excroissances qui se forment sur le maïs en réponse à l’attaque parasitaire. Le développement d’anthocyanines y laisse d’ailleurs des pigments mauves et rouges foncés d’une beauté particulièrement artistique.
Je l’avoue, ça ne me semble pas appétissant à première vue, mais je décide de tenter le coup. Jusqu’à maintenant, aucune découverte culinaire ne m’a déçue ici.
Je suis rapidement récompensée de ne pas avoir jugé trop vite, parce qu’une seule bouchée du champignon révèle un goût délicieux de beurre, mélangé à une touche terreuse qui rappelle le goût des champignons shiitakes et finalement, la saveur du maïs en note légère. Ce qui me surprend le plus est sa texture: moelleuse et fondante, elle se marie parfaitement à celle du fromage -particulièrement avec le quesillo, un fromage originaire de Oaxaca, qui fait penser à de longs morceaux de fromage swik swik québécois-. C’est, sans aucun doute, délicieux. La dame du kiosque aperçoit mon expression étonnée. Je la sens fière. Elle m’indique que l’on mange ici le huitlacoche dans les quesadillas -comme celui qui remplit ma bouche pendant qu’elle me parle- mais aussi dans les tacos et les empanadas, qui sont en fait les plats les plus populaires du pays. Il peut s’apprêter simplement; comme les autres champignons que l’on connaît. Il se marie particulièrement bien aux fleurs de courges.
J’apprendrai plus tard, au marché local, que le champignon se développe normalement de manière aléatoire dans les champs. Les familles productrices de maïs, qui sont très nombreuses ici, le récoltent tout simplement à la main lorsqu’elles en trouvent par chance au champ. Sa production commerciale est, pour l’instant, très peu répandue. C’est dans l’État de Puebla, situé tout juste au sud de la grande et effervescente Ciudad de México, que des villages se spécialisent maintenant dans la production et la multiplication du Huitlacoche dans le but de le commercialiser à plus grande échelle. On utilise là-bas des techniques d’inoculation pour répandre volontairement les spores sur plus de 600 hectares de maïs. On espère ainsi atteindre une forme de standardisation des techniques de production et de transformation, qui permettrait de vendre le champignon à travers le monde. Parce que la valeur du huitlacoche est supérieure aux produits du maïs -il peut se vendre jusqu’à 12 fois plus cher du kilo-, la production du champignon permet aux producteurs d’atteindre une stabilité financière beaucoup plus intéressante.
L’histoire du Huitlacoche suit celle de la domestication du maïs, dont on croit que l’origine remonte à il y a au moins 4000 ans, selon les estimations les plus conservatrices. Comme le maïs, il est lié à l’histoire du pays et de son peuple. Alors que le reste du monde perçoit le champignon comme un problème à éradiquer, il a ici été adopté dans la culture culinaire il y a longtemps. On a, tout simplement, décidé de transformer une nuisance en délicatesse. C’est, il me semble, une belle façon de prouver que ce qui nous est inconnu peut parfois s’avérer épatant.
Ici, la valeur culinaire de ce produit n’est pas à prouver. C’est un aliment de la gastronomie mexicaine bien connu et apprécié. Je remarque que c’est à la fois un aliment que l’on retrouve dans la cuisine traditionnelle de rue et dans l’univers de la haute gastronomie mexicaine. De grands chefs l’utilisent avec fierté dans leurs plats. C’est au Pitiona, un restaurant situé en plein coeur historique de la ville de Oaxaca de Juárez, que je goûte au Huitlacoche entier. On le cuisine de cette façon afin de montrer le produit de manière authentique; du champ à l’assiette. Les plats créés ici, qui sont d’ailleurs exquis, sont de réelles oeuvres d’art faites à partir des ingrédients les plus bruts. L’établissement est connu à travers le monde pour la passion avec laquelle il célèbre le travail des petits agriculteurs.
La cuisine mexicaine a conquis le monde entier; des salsas de toutes les couleurs à la popularité incontestable des tacos, le huitlacoche pourrait très bien être le prochain cadeau culinaire de ce pays au reste du monde.
Buen provecho